RENTREE
Les rentrées de mon enfance font maintenant partie de mes souvenirs et chaque nouvelle année m'éloigne un peu plus également des rentrées professionnelles.
Ainsi rentrée après rentrée nous voyons notre mémoire s'enrichir de ces instants nostalgiques de fin de vacances sans en ressentir les mêmes attentes que nous avions alors.
Je regrette toujours autant la fin de l'été, mais la signification du mot rentrée est bien différente aujourd'hui.
A l'époque la rentrée signifiait avant tout le retour en ville de la famille après trois mois à vivre avec la mer. La chaleur des villes emportait chaque été son lot de femmes et d'enfants au plus près du rivage que ce soit dans de minuscules cabanons ou sous des toiles.
Nous n'avions pas beaucoup de distance à parcourir entre la ville et notre lieu de vacances, ceux qui continuaient à travailler devaient faire le trajet chaque jour.
L'été nous libérait des horaires et autres contraintes, dès le réveil une seule exigence nous reliait tous, nous retrouver en maillot sur la plage et s'enivrer de liberté. Nous reprenions possession de notre mer, avec ses caresses et ses baisers salés mais aussi avec ses secrets et ses merveilles.
Pêche à la bouteille percée, dégustation des arapèdes que nous arrachions prestement de leurs rochers avec nos couteaux guettant le retrait de l'eau pour les cueillir. Nous nous délections des belles tranches orangées que les lourds oursins violet nous offraient contre notre obole... quelques piquants sous la plante des pieds et aux mains que nos parents le soir tenteraient avec patience et douceur de nous débarrasser.
Le coin rochers ne nous procurait pas seulement ces cadeaux gustatifs mais l'occasion sans cesse renouveler d'effectuer des plongeons dans cette eau transparente. Nos plongeons n'étaient pas de haut-vol mais nos chutes joyeuses noyaient dans l'écume nos fous rires insouciants.
Le soir nous berçait sur la plage au son du léger clapotis des douces vaguelettes qui nous léchaient les pieds. Allongés sur le sable, les yeux vers le ciel étoilé qui nous promettait d'aussi beaux lendemains, nous faisions semblant d'y croire.
Nos palabres faisaient place à des murmures, nos voix s'accordaient au rythme de la nuit... et aux risques que son obscurité pouvait cacher. Cette opacité effaçait brusquement toute cette illusion d'insouciance, de douceur et de fuite que nos jeux du jour nous faisaient oublier. Nous comprenions alors que chaque matin, la force que nous donnait notre âge nous protégeait dans une bulle où notre âme d'enfant se réfugiait.
Le silence finissait toujours par gagner nous ramenant vers nos parents qui veillaient sur nous.
Nous nous disions à demain avec l'espérance de la jeunesse qui veut croire que ces bonheurs dureraient toute la vie.
La rentrée arrivait qui nous projetait dans la mascarade de la vie. Faisant brusquement envoler les éclats d'écumes de nos jeux les remplaçant par les coupants éclats de la violence.
Mes rentrées actuelles sont bien plus calmes et moins risquées, mais ma mémoire n'a pas non plus autant d'émotions aussi fortes à stocker !
Pas de regrets mais la joie d'avoir en moi toutes cette puissance du passé. Il me suffit de me plonger dans cette mer si aimée pour que telle une amie fidèle elle me prenne par la main et me fasse retrouver ceux que j'ai aimés. Nos deux sels se mélangent parfois mais elle me fait flotter entre deux eaux me ramenant tendrement vers le rivage d'aujourd'hui.
Beaucoup sont restés en chemin, fauchés par un éclat ou par la vie, d'autres se sont perdus pour cause de dispersion par l'Histoire et le pire... par reniement.
Mais qu'importe, je les porte en moi, je m'en nourris et ils vivent en moi comme moi je vis grâce à eux.