Amitié
Il y a des rencontres qui se font puis s'oublient, d'autres que nous retenons mais que nous ne cultivons pas, puis celles qui savent trouver où s'installer en entrant chez nous.
Cet endroit a toujours de l'espace pour y accueillir ceux qui en connaissent le code d'accès.
Ils y arrivent par un joli chemin qui se cache parfois au détour d'une discussion à plusieurs voix (voies). Sans aucune difficulté ils mettent leurs pas sur les mêmes empreintes de ceux qui ont déjà su arriver jusqu'à ce lieu.
Cela se fait par petits pas, comme lorsque l'on marche sur un joli tapis de fleurs, découvrant son chemin entre les tâches multicolores qui le garnissent sans en piétiner les frêles tiges.
La progression est un peu lente au début, puis la marche se fait plus sûre, plus sereine et plus rapide.
Mais le temps n'a pas vraiment d'importance, puisque l'on sait déjà que l'arrivée sera chatoyante et nous procurera un doux parfum qui se nomme Amitié.
Vous l'avez compris, l'endroit dont je vous parle et qui sait s'agrandir n'est autre que le coeur d'une amie.
Nous y arrivons par des sentiers surprenants quelquefois, mais qu'importe puisque nous savons le reconnaître.
C'est ainsi que j'emprunte avec quelques amies ces chemins qui aboutissent tous sur de beaux espaces d'échanges, de rires ou de soutien.
Chaque amie chez moi a son jardin qui se crée, dessinant ses propres décors, sa propre fantaisie ou sa rigueur.
Je l'y accueille à chaque fois en y mêlant le mien. Les genres sont parfois assez différents et même surprenants, mais qu'importe puisque toutes les fleurs savent s'y épanouir.
Mon jardin est assez volubile, avec de la folie dans ses lianes de roses qui croulent sous le poids des grosses fleurs anciennes aux parfums si enivrants qui m'emportent vers de lointaines rêveries.
Chaque espace de mon jardin vous cueille au détour de votre visite comme une rose romantique d'un rosé poudré qui retient chaque matin sur ses grands pétales les perles humides de la nuit.
Le matin les premiers rayons de soleil transpercent chaque perle me laissant apercevoir un court instant les promesses déposées par la nuit.
A moi de les découvrir et d'en recueillir les bienfaits tout au long du jour qui s'annonce, en savourer avec délice l'eau limpide qui s'écoule de chaque goutte sous l'ardeur du soleil.
Des Vénus un peu tachetées de mousse se cachent au coeur d'un fouillis de verdure moucheté de rouge émeraude ou de jaune soleil attendant que vous veniez écouter leurs histoires d'amours pas toujours éternelles mais si passionnées.
Là où les dernières flèches du jour rayonnant viennent me saluer, vous y trouverez un banc de pierre recouvert de pétales de roses qui se sont échappées du vieux rosiers grimpant qui l'entoure. Il vous invite à vous y poser un instant et profiter de la belle lumière qui vous dit à demain au travers d'un délicat rideau de longues grappes de glycines.
Mon jardin n'aime pas les tailles, les délimitations, les tracés rigides et strictes. Au contraire, les débordements sont heureux à mes yeux, et je me laisse joyeusement guider par mes diverses et turbulentes reines du jardin.
Il y a de quoi laisser le visiteur un peu surpris, bien souvent avec l'envie de cisailler ici ou là, d'endiguer ce foisonnement, cette profusion de fleurs qui semble s'écouler d'une immense corne d'abondance, sans jamais vouloir connaître l'hiver.
Mais vous pouvez tenter de dessiner dans mes buissons des topiaires en boules ou autres formes géométriques, empêcher les lianes de traverser mes allées, guider les roses et autres exubérantes vers d'autres directions … elles se feront dociles pour vous être agréables un temps, mais vous ne pourrez les y condamner. Leur luxuriance s'amusera vite à effacer la fougue du sécateur pour reprendre leur épanouissement échevelé.
Mais l'amitié s'adapte à chaque jardin, et sait admirer les jardins amis même les plus opposés au sien.
J'ai ainsi eu la joie d'accueillir dans mon jardin, celui d'une amie et à nous deux nous avons su admirer et apprécier nos différentes façons de jardiner.
Autant le mien est multicolore, fleuri et en prend à son aise avec le refus du sécateur, autant le sien est plus dénudé, plus calme, plus rectiligne, plus calme, plus abrité des ardeurs envahissantes des lianes et autres plantes.
Elle s'y promène loin des ardeurs d'une sève qui ne connait pas les rigueurs de certaines saisons. Sa force, elle la puise ailleurs, dans la contemplation des instants de calme que lui procurent des espaces plus dépouillés aux teintes reposantes sans de vifs contrastes.
La musique qu'elle y entend est celle du léger frémissement de l'eau chahutée par le vent qui passe au travers du rideau de bambous. Ces derniers ajoutent le doux bruissement de leurs feuilles à cette petite musique de nuit qui rappelle celle qu'elle sait jouer si délicatement en promenant ses doigts sur les touches de son piano.
Mon jardin qui a dû s'acclimater entre le Mistral, le Sirocco, le Simoun et les Alizés, ne pouvait engendrer un lieu sans la folie qu'entrainent de tels vents soufflants dans plusieurs directions et dispersants son âme et son coeur au gré des chauds rayons qui savent faire éclore des fleurs de rêves.
L'amitié vient le tempérer avec des jardins plus mesurés, plus raisonnables, qui lui offrent de belles rencontres où chacun sait garder son charme tout en appréciant les nouvelles saveurs de l'autre.
L'Amitié est cela, le mélange de mots, de fleurs, de couleurs, de sagesse et de folie, de calme et de bruits, qui trouvent un point de rencontre au milieu même de ce qui semble un improbable chahut d'émotions contradictoires et pourtant si semblables au delà même de leurs contradictions.
Voilà, deux jardins se sont rencontrés et se sont appréciés, chacun emportant un peu de l'autre. Une rose pour l'une, un galet blanc pour l'autre qui forme un seul et unique jardin d'entente et de plaisirs partagés.
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