Souvenirs d'enfance
Photo personnelle, pas de bonne qualité, mais sauvée de tant de déménagements.
Je cherche et ne trouve pas.
Je cherche le souvenir le plus ancien de ma mémoire et je n'arrive pas à remonter aussi loin que je le voudrais.
Mon retour en arrière s'arrête sur cette image où je me vois petite fille d'environ cinq ans face à mon grand père paternel qui me semble être un géant. Il est grand, il se tient bien droit dos au mur, une casquette sur sa tête alors que nous sommes dans la salle à manger de l'appartement dans lequel grand-mère et lui vivent. Il a la tête un peu penchée et un grand et doux sourire. Il a l'air joyeux et son sourire illumine ses yeux !
Alors je me regarde… et je me vois face à lui tenant dans mes bras le merveilleux cadeau que mon grand-père et ma grand-mère viennent de m'offrir. Une magnifique poupée presque aussi grande que moi ! Je suis si étonnée de sa grandeur que je la maintiens debout à mon côté comme si cette poupée était déjà mon amie.
Je réalise que c'est certainement mon visage qui doit refléter une telle surprise, qui met ainsi en joie mon grand père.
Ma grand mère, elle, je la vois assise. Mais peut-être est-ce un faux souvenir qui me fait croire qu'elle est assise, car autant mon grand père est grand, autant ma grand mère est petite.
Mes souvenirs l'imaginent souvent assise, son visage me sourit mais d'un sourire différent de celui de grand-père. Il est à chaque fois presque à la limite du rire. Son petit chignon laisse échapper quelques mèches qui donnent encore plus de chaleur et de douceur à son visage ainsi auréolé de ces doux rubans blancs qui volettent à chaque souffle d'air. Souvent sa main calme ce léger mouvement de cheveux en tentant de les ramener vers une épingle qui elle aussi essaie de s'échapper de ce chignon où le blanc cache désormais l'ancienne teinte de sa chevelure.
Mais le fait que mes souvenirs me la montrent assise viennent sans doute de cet autre souvenir arrivé plus tard, grand-mère a fait une chute alors qu'elle était sur le premier escalier roulant qui venait d'être installé dans notre ville. Son col du fémur en fit une douloureuse expérience et l'époque étant ce qu'elle était, cet accident l'empêcha de continuer à sortir faire son marché et les promenades habituelles. La laissant assise sur ce fauteuil près du balcon de la pièce principale de l'appartement. Ce qui provoqua, d'après ce que mes oreilles enfantines purent glaner des conversations qui se murmuraient autour de moi, une fin bien plus rapide que ce que l'on aurait pu espérer sans cette chute.
Grand-mère était toujours aussi souriante lorsque nous venions, mais sa vivacité, ses sorties et son plaisir à nous préparer de bons repas avaient disparus.
C'est ainsi que je perdis ma grand mère du côté de papa alors que je ne voyais déjà plus depuis plusieurs années mon grand père. Je n'avais jamais connu d'autre grand-père, celui que nous aurions dû avoir du côté maternel ayant été emporté très jeune d'une maladie que l'on nommerait aujourd'hui "maladie professionnelle". Mais comme je le disais, l'époque étant ce qu'elle était…
Je n'avais donc que brièvement connu un seul grand-père et je perdais l'une de mes grands mères. Comme son rire me manquait.
Avant la chute de grand-mère, le frère aîné de papa qui était célibataire vivait chez ses parents et faisait partie de ce que l'on nommait à cette période, "des vieux garçons".
Mes soeurs, mon grand frère et moi nous prenions un immense plaisir à pénétrer dans sa chambre en son absence et à jouer à sauter sur son lit.
Il faut préciser que son lit avait un édredon !! Un édredon ! Nous ne connaissions pas ce style de parure de lit. La ville en bordure de Méditerranée du pays où nous habitions n'avait pas l'habitude de ce genre de chauffage.
Cet édredon nous provoquait avec sa douceur dans laquelle nous nous enfoncions en sautant sur le lit ! mais ce qui nous faisait le plus rire ... les rires de notre grand-mère qui s'amusait de nos jeux tout en nous prédisant la pire colère de son fils, notre oncle, lorsqu'il rentrerait ! Nous arrivions à crier au travers de nos rires, "nous n'avons pas peur de lui".
En effet, jamais les colères de notre oncle ne furent de véritables colères. Maintenant que je connais les histoires de Pagnol et des vieux provençaux, je peux dire que nous avions sans le savoir notre oncle façon Pagnol ! Le verbe haut et la colère plus proche de la bourrasque qui disparait aussi vite qu'elle n'apparaît et qui ne demandait qu'un baiser ou un sourire pour se dégonfler plus vite qu'un nuage perdu dans un ciel d'été.
Pourquoi aimions-nous tant ce jeu qui provoquait sans surprise les cris joyeux de grand-mère dès que nous rentrions dans la chambre de son fils ! Mais simplement parce que nous étions des enfants qui savions que si notre oncle nous interdisait sa chambre, cela devenait un jeu entre lui, nous et notre grand-mère. Nous devenions l'enjeu de ce petit jeu qui était devenu un rituel entre lui et nous.
Nous nous savions tellement aimés par notre grand mère et voyions combien nos jeux l'amusaient et la faisaient rire ! Quant à notre oncle à son retour, nous lui sautions sur les genoux et empêchions toute rébellion de sa part face à nos rires et nos facéties.
Nous ressentions en nous une force et une joie de vivre décuplée par cet amour qui nous portait. Cet amour fut toujours là tout au cours de notre vie et nous permit de traverser toutes les périodes néfastes qui vinrent ensuite encombrer notre destinée.
Cette force, qui si elle nous apprenait la chance que nous avions d'être détenteurs d'un tel amour, nous faisait comprendre également combien nous devions en être redevables à nos parents.
Le respect et la reconnaissance se mêlaient harmonieusement dans l'amour que nous échangions tous.
Ma petite grand-mère se garde en moi comme une fine fleur que le mouvement brutal d'un escalier trop moderne pour elle pouvait faire tomber, mais qui avait une force incroyable dans son rire et son sourire.
Je sais que ma voix forte et mon sourire viennent en partie d'elle, puisque mon père en avait hérité lui-même.
Mais si je n'ai pas connu mon grand-père côté maman, j'ai eu la chance de garder plus longtemps ma grand-mère maternelle. Et si je vous en parle un autre jour, vous verrez qu'elle aussi malgré les diverses épreuves traversées connaissait la valeur du rire et du sourire.