Il restera bleu
Si mon monde est bleu comme décrit précédemment et que cette couleur semble m'avoir servie de couverture à ma naissance, ne croyez pas que je sois la naïve qui ne veut pas voir les vérités humaines, les meilleures comme les pires. Je suis moi même humaine et donc pétrie de ces contradictions !
Bien évidemment que mes yeux ne sont pas aveugles lorsqu'ils se heurtent à la bassesse des hommes, mon ouïe perçoit très bien les fausses paroles déversées par des bouches souriantes et pourtant meurtrières.
Toute cette pantomime qui se veut vengeresse et assassine afin de heurter les esprits et faire couler dans nos veines la peur et la haine, ni ces gesticulations qui essaient de nous rassurer, nous faire penser que nous sommes et serons les plus forts, de continuer à faire comme si….
Comme si quoi ! Comme si le monde n'avait pas changé !
Bien sûr que nous savons que le monde a changé, et il changera encore en mieux ou en pire, nous le verrons ou nos enfants le verront.
Bien sûr que nous ne pouvons effacer le passé, puisque c'est le passé qui bien souvent explique et construit le présent.
Bien sûr que nous devons vivre le présent sans connaître le futur qui nous attend.
Bien sûr que notre futur sera lui aussi ce que nous faisons de notre présent.
Bien sûr que nous écoutons, nous lisons, nous rejetons, nous croyons ou non ce que le monde nous dit, nous montre, veut nous persuader …
Alors vous dire que mon monde ne varie jamais du bleu, serait pure utopie…
Ce n'est ni la première fois, ni la dernière malheureusement, que mon bleu se teinte de rouge ou de noir.
Comme toujours lors de ces brusques changements de variations de teintes, je suis envahie de ce sentiment qui inonde tout sur son passage : la colère.
La colère me tétanise pour un instant et mon coeur se met à se remplir de cette eau qui prend sa source jusqu'au fond de mes racines. Je reste comme suspendue au dessus d'un précipice qui peut m'engloutir vers d'autres sentiments bien plus destructeurs que la colère. La peur et la haine ne sont pas loin de moi, que voulez-vous je ne suis qu'une humaine avec ses bons et mauvais côtés, et heureusement que je peux ressentir toutes ces émotions. Car justement les connaissant et les fréquentant de temps à autre, je me méfie et me hâte de les canaliser et les réfréner.
Ma colère a pris naissance au plus profond de moi et les larmes se sont mises à se déverser avec mes souvenirs...
Ce matin "ils" ont réussi à voiler le beau soleil qui inonde cette journée !
Ce matin "ils" m'ont ramené 50 ans en arrière !
Ce matin "ils" ont fait couler mes larmes de rage et d'incompréhension.
Ce matin "ils" ont fait ce que mon père après notre exil avait prédit.
Ce matin "ils" nous ont donné raison et c'est pour ça que mes larmes coulent !
Paris a été touché cette nuit, et moi ce sont mes souvenirs qui affluent et se bousculent.
Cette nuit je n'ai pas entendu les tirs et les détonations, pourtant ces bruits je les ai encore dans ma tête ces déflagrations qui éclaboussaient journellement le ciel pur de mon pays.
Cette nuit je n'ai pas vu les scènes de mort, pourtant je les ai encore devant mes yeux ces corps massacrés d'une terrasse d'une brasserie rendez-vous de la jeunesse de ma ville.
Cette nuit je n'ai pas dû enjamber de membres disloqués, pourtant je les ai encore devant moi ces cadavres ensanglantés sur le trottoir.
Aujourd'hui tout me revient en plein coeur et je laisse un torrent de larmes m'inonder, je n'y peux rien, je croyais avoir bien enfoui tout ça dans un coin de mon passé, mais tout est là et comme à l'époque de mes souvenirs ce n'est pas la peur qui me domine, mais bien la colère et l'incompréhension.
J'imagine que je ne dois pas être seule aujourd'hui à ressentir les mêmes colères, ceux qui ont les mêmes souvenirs de ces attaques journalières et impossibles à prévoir. Sortir et ne pas savoir si le commerce, le pilier, la voiture, la personne, l'enfant.... que nous croiserons signeront notre dernier jour dans une explosion ou sous une rafale de balles.
Ce matin je me suis réveillée prisonnière de mon passé …""
Mes larmes de colère sont alors redevenue comme toujours après la tempête, une eau plus calme qui passant par la tristesse a fini par céder la place à l'espérance.
Cette fois encore j'ai retrouvé la confiance en ce monde, l'adhésion à ce courage qui conduit à croire en soi pour se relever encore et encore, autant de fois qu'il sera nécessaire. Croyant en moi, je crois en l'autre.
L'autre qui a perdu l'un des siens et qui doute, l'autre qui sert de rempart pour défendre notre liberté au risque de sa vie, l'autre qui comprendra peut-être que la lâcheté de l'ombre glauque ne fait pas partie de la guerre.
Que certains esprits ne voient aucune attaque à une religion, je suis moi même pratiquante d'une religion. La religion ne doit pas être confondue avec le fanatisme.
Ceux qui prétendent qu'un monde athée ne verrait pas de tels actes, se trompent aussi surement que ceux qui pensent que les femmes seraient moins guerrières que les hommes !!
Notre pays est classé comme la 4e nation ayant le plus d'athées, je ne pense pas cependant que cela nous classe dans un monde plus calme et plus serein.
L'humain est ainsi fait, qu'avec ou sans religion, il y aura toujours une part d'ombre et de lumière dans l'humanité.
Peu importe que l'on soit athée, agnostique, non croyant ou croyant. Inutile de rejeter la faute de telles dérives sur les religions. Les religions ont une pratique spirituelle qui peut rejoindre par bien des points les non croyants qui cherchent également une pratique spirituelle et laïque.
La spiritualité peut prendre divers noms, diverses formes, mais pourtant n'est-ce pas elle qui donne un sens à la vie ?
Chaque jour je sais qu'il y a quelque chose qui me fait aimer la vie, appeler cette chose du terme que vous choisirez, peu importe son nom si cette chose invisible et pourtant si présente contient de l'amour.
Oui, finalement l'amour est toujours présent en moi et c'est lui qui garde mon monde bleu.